Autisme : à la découverte du centre Lud’Eveil 3i
La méthode des 3i se base sur le jeu pour apprendre aux enfants atteints de troubles du spectre autistique à s’ouvrir aux autres et à communiquer. Visite guidée du centre Lud’Eveil 3i, à Courbevoie, qui met en pratique cette thérapie développementale depuis 2013.
A Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, une structure accueille cinq enfants et adolescents autistes âgés de 7 à 17 ans, six jours sur sept, de 9h à 18h30. C’est le centre Lud’Eveil 3i , crée en janvier 2013, qui observe la méthode des 3i (intensive, individuelle et interactive). Cette technique repose sur un principe simple : communiquer avec l’enfant atteint de troubles du spectre autistique (TSA) par des jeux non directifs et créer un échange par l’imitation pour reconstruire son développement psychomoteur.
Lors de notre visite au centre, nous sommes tout d’abord accueillie par Josette Domingos, présidente de l’association Lud’Eveil 3i, et Anaïs Bisdorff, chargée de communication de l’association Autisme Espoir Vers l’Ecole ( AEVE ), porteuse de la méthode des 3i partout en France. Toutes les vitres du centre sont dépolies, offrant une bonne isolation visuelle avec l’extérieur. Autour du hall d’entrée, plusieurs portes closes. Derrière chacune joue un enfant. Des exclamations, des bruits de jeu, une effervescence enfantine parviennent jusqu’à nous.
Successions de séances de jeu
Ici, 35 bénévoles formés à la méthode développementale des 3i se relaient toute la semaine pour jouer avec les enfants, en tête à tête. “Chaque enfant a sa propre équipe et toutes les journées sont organisées de la même manière : une première séance de jeu de 9h à 10h30, puis une deuxième avec un autre bénévole jusqu’à midi” détaille Josette Domingos. “L’après-midi, trois autres séances de jeu d’une heure et demie se succèdent de 14h à 18h30” ajoute-t-elle.
Le bénévole joue le rôle d’un véritable compagnon de jeu. “Il n’est pas question pour lui d’arriver en position d’enseignant, les séances ne se préparent pas” précise Josette Domingos. Le bénévole est totalement à l’écoute de l’enfant et l’imite dans ce qu’il veut faire. C’est précisément le cas de Michel, bénévole au centre Lud’Eveil 3i depuis trois ans, auprès de Léna, 8 ans. Nous les rencontrons tous les deux, à l’heure de la pause-déjeuner. “Au début, Léna était dans son monde, elle faisait des crises, se tapait la tête par terre, se griffait. Ça s’apaise avec le temps. Elle a des regards plus expressifs, elle émet des petits sons. La première fois qu’on a réussi à saisir son regard, c’était une vraie victoire” témoigne Michel, tout en gardant un œil affectueux sur la petite fille. Effectivement, Léna est vive et semble épanouie. Elle nous regarde, sans ciller, avec un grand sourire.
“La salle de jeu est un cocon sensoriel”
Dans sa salle de jeu, qui affiche son prénom et la photo des visages de tous ses bénévoles, Léna s’observe dans le miroir, touche son reflet. Autour d’elle, tout est équipé pour le jeu : elle peut se rouler par terre sur les tapis, manipuler un gros ballon et même se réfugier dans un coin rassurant. Les jouets sont disposés en hauteur, sur des étagères, pour apprendre à l’enfant à les pointer du doigt, à communiquer par le geste. “La salle est un vrai cocon sensoriel qui répond aux besoins moteurs et psychiques de l’enfant” nous explique Chloé Bornens, jeune psychologue au centre Lud’Eveil 3i. C’est pourquoi, les premières années, l’enfant reste exclusivement dans le cadre sécurisant de sa salle de jeu. Puis, graduellement, le bénévole peut organiser des sorties avec l’enfant quand il commence à s’ouvrir l’extérieur, comme nous le raconte Michel : “aujourd’hui, j’ai emmené Léna au parc pour faire du toboggan. Avant ce n’était pas possible de la sortir du centre, maintenant elle accepte le bruit des voitures et la proximité des autres enfants.”
Des progrès au quotidien
En effet, suivant l’évolution de l’enfant, les bénévoles vont pouvoir adapter leurs activités. “La première phase est celle de l’autisme profond. Le seul but des séances de jeu est alors de capter le regard de l’enfant, d’interagir avec lui, de l’imiter” précise Chloé Bornens. La deuxième phase repose sur la mise en place de jeux puis d’ateliers au cours desquels l’enfant pourra s’asseoir à une table s’il le souhaite. Lorsqu’il est prêt pour l’apprentissage, la troisième phase consiste à chercher une structure (école, cours de sport…) où l’inscrire pour une courte durée au début, qui augmente avec le temps. L’objectif final est que l’enfant puisse un jour réintégrer un parcours scolaire.
Et cette méthode semble bien parvenir à ses fins : “une étude rétrospective sur 449 enfants suivis pendant 10 ans par l’association AEVE montre d’ores et déjà que 51% d’entre eux ont retrouvé le chemin de l’école classique, après seulement deux à quatre ans de méthode des 3i” se réjouit Anaïs Bisdorff. Comme Léna dont les progrès s’observent déjà au bout de trois ans, Etienne*, inscrit au centre Lud’Eveil 3i depuis 2013, évolue de jour en jour. En nous racontant son parcours, Nicole*, la maman du jeune garçon, laisse transparaître une grande émotion. “Etienne* a enfin trouvé un endroit où ce qu’il fait est en harmonie avec son âge mental. Avant d’intégrer le centre Lud’Eveil 3i, il était dans sa bulle : il prenait un coussin ou une couverture et allait s’emmitoufler dans un coin. Il est maintenant très présent, s’est ouvert au monde quand les bénévoles et les psychologues se sont mis à son niveau. Ça a été une véritable renaissance.” Chloé Bornens partage cet émerveillement devant l’efficacité de la méthode : “C’est passionnant car on voit les enfants s’épanouir. L’autisme n’est pas assez souvent relié à la notion de progrès. Ici, c’est le cas.”
“J’ai envie de régler un peu cette souffrance”
Trois psychologues, dont Chloé Bornens, spécialement formées à la méthode des 3i, observent attentivement la moindre avancée des cinq enfants. Ces spécialistes suivent chacune un ou deux jeunes, et participent également à leurs séances de jeu une fois par semaine. Mais comment peuvent-elles garder un œil sur tout ce qu’il se passe ? Grâce aux caméras disposées dans chaque salle, qui enregistrent toutes les séances. Elles peuvent ainsi observer l’évolution du jeune patient dans le temps et améliorer les interactions entre enfant et bénévole. En feuilletant un classeur organisé et bien rempli, Chloé Bornens nous explique qu’ “à la fin de chaque séance, les bénévoles y notent un court compte-rendu de ce qu’il s’est passé pendant l’heure et demie : les jeux choisis par l’enfant, son humeur, ses réactions… Nous choisissons ensuite de regarder les vidéos des séances les plus marquantes“. Les vidéos aident aussi les bénévoles à comprendre les problèmes qu’ils peuvent rencontrer.
Actuellement, le centre Lud’Eveil 3i est complet et dispose d’une liste d’attente pour les nouvelles demandes. “Nous sommes physiquement limités, puisque nous ne disposons que de cinq salles de jeu“, déplore Josette Domingos. C’est pour le moment le seul centre qui pratique la méthode des 3i en France. Une alternative est d’aménager chez soi une telle salle de jeu, et de bénéficier de l’encadrement de l’association AEVE. Cette structure rassemble 6 500 bénévoles investis, motivés, et concernés, comme en témoigne Michel : “Léna a besoin qu’on s’occupe d’elle et moi, j’ai envie de m’investir, de régler un peu cette souffrance. J’ai eu la chance d’avoir des enfants qui n’étaient pas différents, maintenant j’aide ceux pour qui ce n’est pas le cas.”
* Les prénoms ont été modifiés.
Sources :
- Visite du centre centre Lud’Eveil 3i, Courbevoie (Hauts-de-Seine)
- Interview de Josette Domingos, fondatrice et présidente de l’association Lud’Eveil Courbevoie
- Interview de Chloé Bornens, psychologue clinicienne au centre Lud’Eveil 3i, spécialiste des troubles développementaux de l’enfant
- Interview d’Anaïs Bisdorff, responsable régionale d’AEVE Normandie et chargée de communication de l’association
- Interview de Michel, retraité bénévole au centre Lud’Eveil 3i depuis trois ans.
- Interview de Nicole*, maman d’Etienne*, jeune garçon autiste inscrit au centre Lud’Eveil.
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